Administrations : la lutte contre les fraudes aux aides publiques s’intensifie

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La loi du 30 juin 2025 outille les agents face aux escroqueries dans le cadre de MaPrimeRénov', des CEE, etc.
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Administrations : la lutte contre les fraudes aux aides publiques s'intensifie

Si le bilan 2024 fait état de progrès importants dans la prévention et le recouvrement de la fraude, dans la mesure où le travail des agents a permis d’éviter que 236 M€ pour les certificats d’économies d’énergie (CEE) et 229 M€ pour MaPrimeRénov’ ne soient détournés, ces deux dispositifs sont régulièrement en proie à de nouveaux schémas de fraude mis en place par des réseaux structurés.

Les administrations font alors face, en plus de difficultés financières et opérationnelles, à des obstacles juridiques de nature à entraver leurs actions en matière de lutte contre la fraude. La loi n° 2025-594 du 30 juin 2025 contre toutes les fraudes aux aides publiques a vocation à lever ces obstacles et à offrir aux agents publics un nouveau panel d’outils permettant de prévenir les effets des tricheries en amont, d’exercer des contrôles plus efficacement et de mieux sanctionner les contrevenants.

Suspension des aides en cas de soupçons de fraude

L’article 1er de la loi permet à l’administration, en cas « d’indices sérieux de manquement délibéré ou de manœuvres frauduleuses en vue d’obtenir ou de tenter d’obtenir indûment l’octroi ou le versement d’une aide publique », d’en suspendre l’octroi ou le versement pour trois mois maximum.

Cette possibilité ouverte dans l’hypothèse « d’indices sérieux » constitue une avancée importante. En effet, les décisions de refus ou les retraits de décisions fondés sur une fraude ne peuvent normalement être pris que sur la base d’éléments de nature à véritablement établir ladite fraude (1).

Si ce principe est conservé dans la loi en matière de rejet d’une demande ou de refus de versement définitifs d’une d’aide, les administrations ont ainsi à présent la faculté de suspendre l’octroi ou le versement de l’aide en cas de suspicion de fraude, sans pour autant être tenues de l’établir. Elles disposent ensuite de trois mois au plus pour réunir davantage d’éléments leur permettant, le cas échéant, d’établir la fraude et de prendre une décision définitive de rejet de demande d’aide ou de versement.

Des exemples d’« indices sérieux ». A ce stade, il est difficile d’établir une liste de cas dans lesquels il est possible de considérer qu’il existe des « indices sérieux de manquement délibéré ou de manœuvres frauduleuses en vue d’obtenir ou de tenter d’obtenir indûment l’octroi ou le versement d’une aide publique ». Il appartiendra au juge administratif de préciser cette notion, au gré des cas qui se présenteront. Le rapport fait au nom de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale (n° 633) apporte toutefois des exemples de ce qui pourrait constituer des « indices sérieux » :

- des alertes émises par des sociétés « sérieuses » signalant une potentielle usurpation de leur identité ;

- des alertes émises par des usagers qui se plaignent de n’avoir pas touché leur aide ;

- l’identification de « doublons d’Iban » utilisés pour percevoir des aides au-delà des seuils de versement ;

- des fausses déclarations sur les revenus que les organismes de sécurité sociale constatent en recourant à leur droit de communication bancaire.

Dans l’attente d’une jurisprudence établie, les administrations peuvent mettre en place leurs propres systèmes de détection, adaptés aux types d’aides distribuées et aux bénéficiaires concernés, afin de guider efficacement leurs agents. La mise en œuvre de ces nouvelles dispositions (comme de nombreuses autres mesures de la loi du 30 juin) est subordonnée à un décret d’application.

Echanges d’informations renforcés entre administrations

La cellule de renseignement financier nationale (Tracfin), chargée de la lutte contre les circuits financiers clandestins, le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, habilitée à recevoir des informations des professionnels, constitue une source particulièrement importante de renseignements en matière de fraude. Pourtant, jusqu’à présent, elle n’est autorisée à les transmettre qu’à une liste d’acteurs limitative fixée à l’article L. 561-31 du Code monétaire et financier, dont l’Agence nationale de l’habitat (Anah), jouant un rôle clé dans le dispositif MaPrimeRénov’, ne fait pas partie.

Transfert de données via Tracfin. A compter du 1er octobre, le nouvel article L. 561-31 dispose (art. 4 de la loi) que Tracfin peut transmettre des informations à des administrations, à des autorités, à des organismes, à des établissements publics ou à des personnes chargées d’une mission de service public - sous réserve que ces informations soient en relation directe avec leurs missions respectives -, dont la liste ne sera plus fixée par la loi mais par simple arrêté des ministres chargés de l’économie et du budget.

Nul doute que l’Anah fera partie des administrations concernées, dans la mesure où, ainsi que l’on peut lire dans le rapport parlementaire précité : « Autoriser le transfert de données de Tracfin vers l’Anah renforcera significativement la lutte contre les fraudes aux aides publiques et les pratiques de blanchiment d’argent via des réseaux criminels organisés, en permettant à l’établissement public de croiser les fichiers en possession de Tracfin et d’identifier des structures (professionnels ou mandataires) potentiellement fraudeuses, à partir de montages financiers complexes ayant recours à des sociétés écrans ou des prête-noms. »

Clarification du cadre juridique. La loi contient en outre plusieurs mesures destinées à clarifier et à sécuriser le cadre juridique de l’échange d’informations entre administrations et donc en favoriser l’usage. Peuvent notamment être citées : • l’instauration, au sein du Code des relations entre le public et l’administration (CRPA), d’une disposition générale permettant aux agents de l’administration (incluant les établissements publics à caractère industriel et commercial), d’« échanger tous les renseignements et les documents utiles à la recherche et à la constatation des fraudes ainsi qu’au recouvrement des sommes indûment versées » en cas d’indices sérieux de fraude (art. 4) ; • l’élargissement des possibilités pour certaines administrations d’obtenir ou se transmettre des informations relevant de secrets légalement protégés et/ou de secrets professionnels (art. 10 et 11) ; • la possibilité d’échanger certaines informations confidentielles sous forme dématérialisée, étant précisé qu’un décret en Conseil d’Etat devra en préciser les contours (art. 24).

Renforcement des contrôles et sanctions

Les pouvoirs de contrôle des agents de certaines administrations se trouvent largement étendus dans des secteurs où les fraudes sont récurrentes. L’article 32 prévoit par exemple que certains agents des gestionnaires de réseaux pourront désormais procéder à la constatation, sur place ou à distance, des destructions, dégradations ou détériorations légères commises sur les compteurs communicants Linky et Gazpar.

Côté sanctions, l’article 2 de la loi rehausse les majorations du montant des aides à restituer par les entreprises qui les ont obtenues en fournissant des informations inexactes ou incomplètes, de 40 % à 50 % en cas de « manquement délibéré » et de 80 % à 100 % en cas de « manœuvres frauduleuses ».

De manière plus spécifique, la loi renforce les pouvoirs de sanction dans certains secteurs. C’est le cas notamment pour les aides distribuées par l’Anah pour la rénovation énergétique des bâtiments. Par exemple, la loi permet à la DGCCRF de suspendre, pour six mois renouvelables une fois, les labels et signes de qualité des entreprises intervenant dans ce domaine, ainsi que l’agrément des mandataires Mon Accompagnateur Rénov’ (art. 13).

Panel élargi. En outre, l’Anah dispose d’un panel de sanctions élargi clarifiant et renforçant notamment ses pouvoirs vis-à-vis des mandataires des bénéficiaires des aides, dont on lit dans le rapport parlementaire précité qu’ils sont impliqués dans près de 90 % des cas de fraude observés sur MaPrimeRénov’. Elle peut ainsi leur refuser une nouvelle demande d’aide pendant une période pouvant aller jusqu’à cinq ans ou encore leur infliger des sanctions pécuniaires plus importantes qu’auparavant et pouvant atteindre 4 % ou 6 % du dernier chiffre d’affaires connu (art. 23 de la loi). Le projet de décret d’application concernant plus particulièrement la sécurisation des dispositifs d’aides gérés par l’Anah a été soumis à consultation du public entre le 25 août et le 15 septembre 2025.

(1) Voir par exemple pour le refus d’un permis de construire, CE, 9 octobre 2017, n° 398853 ; pour le retrait d’une décision favorable relative à une épreuve théorique d’un permis de conduire, TA Bordeaux, 12 mars 2025, n° 2402218.

Ce qu'il faut retenir

  • La loi du 30 juin 2025 renforce le dispositif juridique de lutte contre les fraudes aux aides publiques. Ce phénomène est particulièrement présent en matière de CEE et dans le cadre de MaPrimeRénov' : les administrations font régulièrement face à de nouveaux schémas de fraude organisée.
  • La loi instaure de nouveaux outils permettant aux administrations d'intervenir non plus exclusivement en cas de fraude avérée mais désormais également en cas de soupçons, de faciliter les échanges d'informations, ou encore d'élargir les pouvoirs de contrôle et de sanction.
  • Des décrets d'application sont attendus pour mettre en place les dispositifs et la jurisprudence devra éclairer certaines notions.

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