Le dispositif Eco énergie tertiaire (anciennement appelé décret tertiaire) les met mal à l’aise. Une huitaine d’acteurs publics et privés (collectivité, foncière cotée…) concernés et présents au Mipim (15 au 18 mars) n’ont pas répondu aux sollicitations du Moniteur, arguant qu’il était trop tôt pour en parler, qu’ils devaient encore se « familiariser » avec la plateforme Operat de l’Ademe…
Sans avoir eu besoin d’insister, trois entreprises ont toutefois accepté de faire un point sur la collecte des informations de consommations énergétiques de leurs bâtiments tertiaires de plus de 1 000 m² et les difficultés qui en découlent.
Contexte : les propriétaires et utilisateurs de bureaux, commerces, écoles, etc. ont jusqu’au 30 septembre prochain inclus pour déclarer les consommations annuelles de 2021 et 2020 ainsi que les données de référence afin de se fixer un cap.
Pour rappel, ils sont tenus de réduire leurs consommations d’au moins 40% d’ici à 2030, 50% d’ici à 2040 et 60% d’ici à 2050, par rapport à une année de référence à choisir entre 2010 et 2019.
La SNCF épaulée par Deepki
SNCF Immobilier gère, pour le compte des entités du groupe public, 8 millions de m² ! Dans le détail : 3,5 millions de m² de petits bâtiments tertiaires et logistiques appartenant à SNCF Réseau pour la maintenance des voies, 3,5 millions de m² de bureaux et d’ateliers de SNCF Voyageurs pour l’entretien des trains et 1 million de m² de bureaux pour les fonctions support notamment. Les quatre millions de m² de gares sont gérés par Gares & Connexions.
Heureusement, seulement 80% des 25 000 bâtiments sous gestion de SNCF Immobilier sont visés par le dispositif Eco énergie tertiaire. Mais quand même, cela représente 6 millions de m² assujettis.
Pour relever le défi de la collecte des données, la direction immobilière du groupe se repose, comme d’autres grands propriétaires tertiaires, sur la « GreenTech » française Deepki. « Ils nous aident à mesurer les consommations sur les ateliers en particulier », confie Gilles Ballerat, directeur de la stratégie immobilière du groupe.
La SNCF fait également appel à des cabinets de conseil comme Citron qui lui ont notamment recommandé de ne pas regrouper ses entités. « C’est une appréciation législative qui rend la tâche encore plus compliquée », concède-t-il. Sur le terrain, la situation se complexifie quand « l’alimentation énergétique peut être commune à d’autres bâtiments qui appartiennent à plusieurs sociétés anonymes du groupe », témoigne-t-il.
L’année de référence a été choisie pour la majorité des bâtiments. Reste à remonter des consommations énergétiques (sur l’intensité d’utilisation notamment), avant « la saisie Operat qui terrorise tous les grands groupes de notre taille », ironise-t-il.
En parallèle, le groupe public est « en train de mobiliser des Capex » pour atteindre des objectifs de décarbonation de son parc, souvent vétuste, très carboné et en majorité industriel, « ce qui entraînera la réduction de consommations énergétiques dans le cadre du décret tertiaire », conclut-il.
BNP Paribas RE freiné par les parties communes
BNP Paribas Real Estate (RE) est aujourd’hui en mesure de déclarer les données de consommations énergétiques et l’année de référence de plus de la moitié des 1 500 immeubles tertiaires gérés pour le compte de ses clients propriétaires (Axa, Allianz…) qui louent des bureaux, entrepôts logistiques ou locaux commerciaux à des start-up, PME et grands groupes comme Sanofi et L’Oréal.
« Nous avons commencé il y a plus de deux ans, donc avant la publication du décret tertiaire, à remonter les données de consommations énergétiques des bâtiment de nos clients investisseurs, dont les ambitions en termes d’empreinte carbone s’alignent avec l’accord de Paris », témoigne Csongor Csukás, directeur général du property management en Europe de BNP Paribas RE.
A six mois de l’échéance Operat, l’arrêté devant préciser la valeur absolue pour les bâtiments hôteliers et commerciaux notamment n’est toujours pas sorti. Un problème pour ses campings et pieds d’immeubles commerciaux ? « Nous projetons l’amélioration de ces classes d’actif sur une trajectoire en valeur relative par rapport à l’année de référence. Malheureusement, cette méthode pénalise les actifs récents les plus vertueux qui disposent déjà de bons résultats sur leurs consommations », regrette-t-il.
En matière de bureau, les principales difficultés concernent les espaces privatifs. « Quand ils sont occupés par des locataires, la donnée ne nous remonte pas systématiquement car ils ne sont pas tenus de nous la communiquer directement », pointe-t-il.
Toutes les données ont donc été récoltées dans les parties communes gérées par l’exploitant ? « Nous avons les données, mais nous devons encore trancher sur la quote-part de consommation de chaque occupant », poursuit-il.
Trois options de calcul sont sur la table : au tantième, au m² occupé ou une division de la consommation collective par rapport à la consommation privative. Ce chantier en cours s’ajoute à ce défi de « communiquer aux locataires la quote-part de la consommation des espaces communs pour qu’ils déclarent eux-mêmes sur Operat », reprend-il.
Problème : les locataires, en particulier les jeunes entreprises et PME qui occupent de petites surfaces, jouent moins le jeu que les propriétaires. BNP Paribas RE a trouvé la parade : à chaque renouvellement de bail, ajouter une ligne dans les annexes environnementales pour obliger le locataire à déclarer ses consommations énergétiques. Cette politique ne produira des effets qu’à moyen terme, au rythme du renouvellement en cours des baux 3-6-9.
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Swiss Life AM au ralenti sur le commerce
Chez Swiss Life Asset Managers (AM) France, la récolte des données de consommations énergétiques dépend de l’usage de ses 150 immeubles visés par le décret tertiaire.
« Sur nos bureaux, nous y sommes arrivés. Nous avons aussi choisi l’année de référence et des plans d’actions sont en cours d’élaboration, certains prévoyant de toucher à l’enveloppe du bâtiment », développe Fabrice Lombardo, directeur des activités immobilières.
En revanche, pour les actifs commerciaux, dont certains sont en cours de cession, le travail se complique. « Les locataires, souvent en pieds d’immeubles, sont en copropriété. Il est difficile de savoir qui doit déclarer, et qui déclare quoi… Pour plus de clarté, il aurait été mieux que la déclaration sur Operat relève uniquement de la responsabilité du propriétaire, et qu’on lui donne la capacité d’exiger les informations », confie-t-il.
De leur côté, les opérateurs hôteliers semblent dans les temps en ce qui concerne la collecte des données. Reste un nœud à démêler : « rénover un hôtel suppose de le fermer car il s’agit d’un actif d’exploitation occupé jour et nuit par les clients », observe Fabrice Lombardo.
Dans ce contexte, les trois membres de l’équipe ESG, la direction technique, le property management ou encore les asset managers de Swiss Life AM travaillent ensemble. Objectif : « définir les stratégies pour réduire les consommations énergétiques de chaque site, avec une première étape, la déclaration des données énergétiques des 150 actifs au 30 septembre 2022 », résume-t-il.
Un problème se pose sur « le patrimoine de moins de 10 ans, donc trop jeune pour justifier d’énormes budgets de travaux », relève-t-il. D’où la nécessité d’élaborer un argumentaire afin d’expliquer « pourquoi on n’atteindra pas l’objectif de -40 % d’ici à 2030 sur cette typologie d’actifs », témoigne-t-il. Selon lui, le décret tertiaire incite à engager des travaux, mais uniquement quand il s’agit d’immeubles « très âgés », en raison de l’équation économique à trouver.
Dans l’anticipation, Swiss Life AM a prévu des dépenses liées au respect du décret tertiaire site par site, en complément des investissements actés pour réduire les émissions de CO² à l’échelle européenne du groupe.
Swiss Life AM, présent en Allemagne notamment, ne communique pas sur le montant des travaux à réaliser ces prochaines années dans le cadre de ce dispositif franco-français. Reste que celui-ci stimule la branche française de Swiss Life AM. En témoigne son premier projet de restructuration lourde : le 104 Richelieu.
Situé au 104 rue de Richelieu à Paris (IIe), l’immeuble des années 70 est détenu par Swiss Life et géré par Swiss Life AM France. La fin des travaux est annoncée avant le 1er juin prochain. Le bâtiment réhabilité briguera les labels HQE excellent et BREEAM niveau excellent. « Ce projet a été conçu pour correspondre au décret tertiaire, assure Fabrice Lombardo. La marge de progression en termes de gains énergétiques est considérable. » Aucun chiffre n’est communiqué.