Les promoteurs immobiliers travaillent leur trajectoire carbone

Le club des promoteurs qui ont défini un plan de réduction de leur empreinte carbone (ou sont en train de le tracer) grossit lentement mais sûrement. Pour certains, la certification de leur trajectoire n’est pas jugée nécessaire.

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Demathieu Bard Immobilier réhabilite l'ancien immeuble de la CAF à Cergy (Val-d'Oise).
La reprise de l’existant, moins émissive que la construction, est un levier à actionner par les promoteurs immobiliers pour réduire leur empreinte carbone. Ici, Demathieu Bard Immobilier compte livrer, fin 2023, plus de 100 logements dans les étages de l’ancien immeuble de la CAF à Cergy (Val-d’Oise).

Seulement cinq des vingt premiers promoteurs immobiliers de France ont fait certifier leur trajectoire carbone. Il s’agit des groupes cotés NexityKaufman & Broad et Icade, de Linkcity, entité de Bouygues Construction, et d’Adim, filiale de Vinci Construction.

A chaque fois, c’est le comité technique de l’incontournable Science Based Targets initiative (SBTi) qui a validé leur plan de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES), en ligne avec l’Accord de Paris adopté en 2015.

A date, 193 pays l’ont ratifié, selon les Nations Unies. Objectif : limiter le réchauffement climatique mondial à +1,5°C par rapport à la période préindustrielle, entre 1850 et 1900.

Deux nouveaux promoteurs veulent s’engager

Des concurrents, comme Altarea, n’ont pas entrepris la démarche. Le groupe d’Alain Taravella avance des objectifs précis sur sa foncière commerciale, comme la réduction de 50% des consommations d’énergie de ses actifs entre 2010 et 2030, mais pas sur ses filiales de promotion. Citons également la trajectoire carbone non certifiée de BNP Paribas Real Estate qui comporte dix objectifs pour la promotion, à horizon 2025 seulement.

D’autres promoteurs n’ont pas encore établi de plan. Green City Immobilier se déclare toutefois « en phase bilan et objectif sur les scopes 1, 2 et 3* ». Emerige planche actuellement dessus en se limitant au périmètre du résidentiel, moins émissif que le tertiaire en raison d’un moindre recours aux équipements type climatisation. En 2022, le groupe présidé par Benoist Apparu a vendu plus de 1000 logements et lancé 70 000 m² non-résidentiels.

Il y a un an, ces deux promoteurs ne communiquaient pas sur leur stratégie carbone.

De leur côté, Pichet et Pierreval, deux acteurs dédiés au résidentiel, ne communiquent toujours pas sur le sujet.

GA Smart Building cherche certificateur

Hors top 20, certains suivent le mouvement, sans aller – pour le moment – jusqu’à la certification. Demathieu Bard Immobilier compte doubler la part de matériaux biosourcés dans ses opérations livrées, de 30% en 2022 à 60% en 2030. C’est bien plus que LP Promotion, qui compte intégrer 25% de bois, chanvre, paille, etc. dans ses programmes en 2030. Le promoteur national, qui a vendu plus de 1800 logements en 2022, a défini une trajectoire avec la société de conseil Carbone 4.

De son côté, GA Smart Building dit étudier le marché « pour trouver le bon organisme certificateur ». Le spécialiste de la construction hors-site souhaite appuyer, entre autres, sur le levier réemploi. Un tiers de ses m² livrés en 2030 seront constitués de produits issus de l’économie circulaire, contre 2% en 2022, promet le groupe toulousain.

Les promoteurs ne parlent pas le même langage

Globalement, les promoteurs continuent de comparer les choux et les carottes. Et partent en ordre dispersé sur plusieurs points.

Commençons par la méthodologie pour calculer d’où ils partent et où ils veulent arriver. Par exemple sur la part de bois dans les programmes livrés en 2022 et l’objectif en 2030. WO2 parle « m3 de bois/m²SDP » et « kgCO2e stocké par le bois/m²SDP », quand la plupart des acteurs interrogés répondent en « % de bois en m² ».

Ensuite, arrêtons-nous sur l’objectif de limitation du réchauffement climatique. Bouygues Immobilier fait partie des ambitieux, en visant +1,5°C en 2100 à l’échelle mondiale, tandis que Procivis présente une trajectoire à +2°C. Pour rappel, un scénario pessimiste à +4°C en France est envisagé depuis cette année par le gouvernement français.

Icade s’engage sur la construction et l’exploitation

Notons également que deux promoteurs d’un poids identique peuvent certifier leur stratégie auprès du même organisme (SBTi), mais avec un périmètre différent. Icade, qui vise +1,5°C, prend en compte la construction et l’exploitation sur 50 ans, contrairement à la trajectoire de Kaufman & Broad à +2°C.

Dans le détail, la filiale de la Caisse des dépôts avance, pour son activité de promoteur qui lui vaut la 7e place de notre classement national, un « objectif de réduction de 41% de l’intensité carbone entre 2019 et 2030, soit une intensité carbone qui passera de 1 347 kgCO2/m² en 2019 à 795 kgCO2/m² en 2030 ».

Kaufman & Broad, 6e promoteur national, s’engage à « réduire de 28% les émissions de GES des scopes 1 et 2 d’ici 2030 » et de 22% celles du scope 3, « par mètre carré construit et livré pour les logements et les bureaux d’ici 2030 ». Son année de référence est 2019.

Enfin, « certains promoteurs ne font que se mettre en ordre de marche pour respecter la règlementation », relève Aurélie Rebaudo-Zulberty, dirigeante associée du cabinet parisien N’Co Conseil, qui n’a travaillé avec aucun promoteur du top 20. Exemple : Linkcity annonce qu’en 2030, tous ses projets seront au niveau 2031 de la RE 2020. Facile…

« En avance sur les autres secteurs très émissifs »

Les promoteurs font quand même preuve de bonne volonté pour décarboner leur activité, et en mesurer les résultats. « Il y a une prise de conscience générale des professionnels, en quête de méthodologie pour intégrer le scope 3, difficile à calculer, explique Vincent Desruelles, directeur d’études de l’institut Xerfi. A l’exception de la chimie, très engagée, la promotion immobilière, et plus largement le BTP, sont en avance sur les autres secteurs très émissifs en CO2, comme le numérique, dans le déni. »

Le calcul du scope 3 se heurte en effet à deux problèmes. « D’un côté, les données disponibles des sous-traitants en cascade sont difficiles à récolter. De l’autre, le locataire et le propriétaire devraient se partager le scope 3 du bâtiment, alors que celui-ci est souvent rejeté sur le preneur », note Ismail Ben Achour, responsable de l’immobilier responsable du réseau KPMG, qui travaille en tant que commissaire aux comptes et conseil pour Nexity, Bouygues Immobilier et Eiffage Immobilier notamment.

Harmoniser pour comparer

L’expert appelle à une « harmonisation des méthodologies de calcul de l’empreinte carbone, trop souvent manuelles ou empiriques, pour comparer et apprendre ». Taxonomie européenne oblige, cela permettra de donner les clés de compréhension aux banques, en première ligne pour verdir la finance, et donc l’économie.

L’essentiel est que chaque promoteur atteigne ses objectifs en ligne avec la Stratégie nationale bas carbone (SNBC). Pour y parvenir, une prise en compte de la part de restructuration dans leur activité serait bienvenue. « Ce levier est sous-utilisé par les promoteurs, relève Stéphane Carpier, dirigeant associée de N’Co Conseil. Or, la restructuration permet de réduire de 15 à 20% l’empreinte carbone sur le volet construction. »

Autre lacune : « Aucun promoteur ne prend en compte les déplacements des occupants, qui pèsent 30% des émissions dans la vie d’un bâtiment. Il est dommage de s’en priver pour améliorer son bilan », souligne le dirigeant.

Cette donnée paraît difficile à modéliser. Pourtant, un outil gratuit existe : Eco-mobilité. Son créateur, le collectif Effinergie, précise toutefois : « Les résultats obtenus sont calculés à partir de données conventionnelles et moyennes. Ils ne peuvent en aucun cas être considérés comme équivalents aux consommations d'énergie réelles et doivent être utilisés avec précaution. »

La récupération des eaux grises, ça compte aussi

Outre la montée en puissance de la « réhab’ », du béton dit « bas carbone », du biosourcé ou encore du réemploi, « d’autres pistes, comme l’augmentation de la dose d’énergies renouvelables et la récupération des ressources, par exemple des eaux grises, permettent de réduire l’empreinte carbone d’un bâtiment, mais elles ne sont pas mises en avant par les promoteurs », observe Ismail Ben Achour, de KPMG.

Dommage, car en voilà des émissions de CO2 évitées… Ne reste plus qu’à s’outiller en interne ou à solliciter des bureaux d’études, pour récolter les données, anticiper les consommations énergétiques au sein du bâtiment construit ou réhabilité et détailler une feuille de route, la plus crédible et transparente possible.

*Le scope 1 représente les émissions directes de GES produits par l’entreprise, via sa flotte de véhicules par exemple. Le scope 2 correspond aux émissions indirectes liées à l’énergie, à travers l’achat pour son propre usage d’électricité, de chaleur, de froid... Le scope 3 est lié aux émissions indirectes qui ne sont pas sous le contrôle de l’entreprise : approvisionnements, traitement des déchets...

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