Reportage

Mipim 2024 : entre ambiance morose et esprit de conquête

Promoteurs sur la défensive, élus mobilisés par la crise du logement… Les participants au Mipim partagent « le même bateau » et se disent tournés vers l’avenir.

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Chapiteau Invest Saudi à Cannes lors du Mipim 2024
Deux chapiteaux Invest Saudi encadrent l'espace promotionnel de la nouvelle capitale administrative de l’Egypte au début de la Croisette.

« Où sont passés les promoteurs français ? » « On a du mal à les trouver, ils n’ont plus de stands. » « C’est triste un Mipim sans les grandes soirées organisées par les promoteurs. »

Dans les allées du Palais des Festivals de Cannes un peu plus dégarnies que les précédentes années, à l’occasion du Marché international des professionnels de l’immobilier (Mipim) organisé du 12 au 15 mars, le retrait des promoteurs immobiliers fait l’objet de discussions entre participants français, au fait de la crise du logement amplifiée par la rapide hausse des taux jusque mi-2023, et qui s’est transformée en crise sociale.

En témoigne la politique de réduction de la masse salariale chez les employeurs déstabilisés par la chute des ventes de logements, de -26% entre 2022 et 2023, selon le Fédération des promoteurs immobiliers (FPI).

Le logo Alila a disparu

Des exemples d’acteurs sur la défensive ? Ogic n’a plus de yacht, ni de stand. Sa présidente Virginia Bernoux a toutefois fait le déplacement pour notamment s’afficher aux côtés de Pascal Boulanger, président de la FPI, lors d’une conférence de presse à charge contre une partie du gouvernement. Le logo Alila, promoteur lyonnais accusé de retards de paiements, a disparu du tapis long de 200m qui mène au chapiteau du Grand Paris, à l’extérieur du Palais.

Chez les grands du secteur, Nexity, engagé dans un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE), s’est tout de même payé une grande affiche sur les murs du célèbre bâtiment pour inciter les professionnels à visiter son stand au 4e étage. « Cette période chahutée fera du bien à la profession », positive Fabien Acerbis, président d’Edouard Denis, filiale du numéro un français de la promotion, visée par les licenciements à acter d’ici avril à l’échelle du groupe.

Chez Edouard Denis, dont l’activité repose à 90% sur le logement, le rebond devra se traduire par une diversification de l’offre. « Demain, nous ferons des bureaux en régions, de 3000 à 4000 m² divisibles en petites surfaces, mais aussi des parcs d’activité, des locaux de santé », illustre son dirigeant.

Et d’ajouter : « Plus nos projets seront mixtes, plus nous les sécuriserons, avec des parts de logements vendus en bloc, de logements libres, afin de capter une clientèle diversifiée, atteindre plus rapidement notre taux de pré-commercialisation de 60% et éviter de baisser les prix une fois le chantier lancé. »

Pour les promoteurs en quête d’économies, difficile de jouer sur tous les tableaux, entre le Salon de l’immobilier de l’entreprise (Simi), le Salon immobilier bas carbone (Sibca) et le Mipim. « Notre délégation a été réduite de moitié par rapport à l’an passé », glisse-t-on chez Bouygues Immobilier. Le troisième promoteur national, qui vient d’annoncer la commande de 4400 logements par le bailleur CDC Habitat, se contente d'un petit stand et d’une « suite » de 20 m² pour recevoir clients, prospects, élus… Une option moins coûteuse que celle choisie en 2023 : un emplacement extérieur jouxtant le port et ses yachts, occupé cette année par la Ville de Rome.

Collectivités cherchent solutions

Chez les collectivités, qui profitent du Mipim pour séduire les investisseurs du monde entier, le volontarisme domine. « 2024 sera plus dure que les autres années à cause des taux qui verrouillent encore la construction et les transactions, mais je reste positive grâce à nos programmes ambitieux », témoigne Natacha Bouchart, maire divers droite de Calais. La réserve foncière de l’agglomération invite à l’optimisme : 18 ha à aménager autour du port de plaisance, une dizaine de friches industrielles…

Natacha Bouchart, maire de Calais
Natacha Bouchart, maire de Calais Natacha Bouchart, maire de Calais

Légende : Natacha Bouchart, maire de Calais.

L’élue se dit en outre « mobilisée pour trouver des solutions à l’échelle locale ». Parmi les pistes étudiées par son service urbanisme : imposer aux loueurs de meublés touristiques de détenir leur résidence principale à Calais. « Sur le front de mer de la ville, nous sommes passés de zéro logement Airbnb en 2021 à plus de 150 aujourd’hui », explique-t-elle. Autant de biens en moins sur un marché locatif qui « commence à être tendu », souligne-t-elle.

« Le contexte oblige à être innovant, doit être vécu comme une opportunité pour limiter la casse et même sortir par le haut », renchérit Cédric Grail, directeur général d’Altémed, aménageur, bailleur social et énergéticien au service de Montpellier Méditerranée Métropole, qui insiste sur le « rôle contra-cyclique de la puissance publique » pour continuer à produire du logement.

Des nouvelles du « choc de l’offre » annoncé en février 2022 par le président socialiste de la collectivité Michaël Delafosse ? Sur les 8000 logements à construire sur les ZAC pilotées par Altémed, 85% ont été attribués à des promoteurs. Reste à renégocier les fonciers avec ces derniers pour viser l’équilibre économique des opérations, à condition que chaque intervenant, du géomètre au poseur de fenêtres, baisse sa marge. « Nous sommes tous dans le même bateau », rappelle Cédric Grail.

Une « offre diversifiée » permet de résister

Rencontré sur le yacht des Architectes Français de l’Export (Afex), Mathieu Chazelle, associé d’Enia architectes, navigue à contre-courant : « Le logement ne pèse que 5% de notre activité donc nous sommes peu exposés à la crise. Notre chiffre d’affaires, réalisé à 15% à l’étranger, est stable grâce à notre offre diversifiée : aéroport, gare, data center, logistique urbaine… » D’où ce vent d’enthousiasme malgré la morosité ambiante : « Les sujets du moment - hors-site, rénovation énergétique, carbone - bousculent les habitudes de chaque métier. Cette période est exaltante. »

Christophe Le Corre, président de la foncière Proudreed
Christophe Le Corre, président de la foncière Proudreed Christophe Le Corre, président de la foncière Proudreed

Christophe Le Corre, président de la foncière Proudreed

Parmi les foncières présentes à Cannes, Proudreed loge ses équipes dans un appartement en ville, à 5 minutes à pied de la Croisette. Son président, Christophe Le Corre se dit « raisonnablement optimiste ». Si le montant investi dans des actifs tertiaires de seconde main a plongé l’an dernier, « 2023 a été une année record depuis notre lancement en 2000 », se félicite-t-il. Citons le taux d’occupation de 96% de ses parcs d’activités et autres bâtiments non résidentiels, à 70% en régions, ainsi que les 200M€ de projets en développement, pour des livraisons en 2024 et 2025.

Possible de dévoiler la recette ? « Une gestion en bon père de famille et des investissements long terme, assure le dirigeant. Nous vendons nos actifs que lorsque nous nous sommes trompés, ce qui est très rare. »

Projets pharaoniques

Parmi la vingtaine de bateaux à quai au pied du Palais, d’autres acteurs français se distinguent : le groupe Pierreval, 20e promoteur national diversifié dans différents métiers immobiliers (exploitation de résidences gérées, vente, location, syndic…), ou encore Deepki, société spécialisée dans la collecte de données énergétiques des parcs immobiliers. Contrairement aux investisseurs internationaux qui dominent le paysage, ils ont chacun opté pour un voilier dont celui du dernier cité possède un mat de 30 m... La folie des grandeurs, comme chez certains étrangers ?

Le voilier Deepki à quai, au pied du Palais des Festivals de Cannes
Le voilier Deepki à quai, au pied du Palais des Festivals de Cannes Le voilier Deepki à quai, au pied du Palais des Festivals de Cannes

Le voilier Deepki à quai, au pied du Palais des Festivals de Cannes.

Les projets pharaoniques sont en effet toujours mis avant, comme la nouvelle capitale administrative de l’Egypte, dont l’emplacement promotionnel situé au début de la Croisette est cerné par deux chapiteaux estampillés Invest Saudi, immanquables par leur taille et leur couleur verte.

Incapables, pour l’instant, de renverser la tendance face à la crise du logement qui sévit sur le Vieux-Continent, les Européens gardent leurs habitudes. Les pavillons allemand, italien, espagnol ou belge présentent une configuration quasi inchangée par rapport à l’édition 2023.

Et comme l’année dernière, les Britanniques sont représentés à des emplacements « premium » face à la mer par Londres, Manchester et Newcastle. Les 12Mds€ que les investisseurs institutionnels ont engagés dans le logement Outre-Manche, en légère baisse par rapport à 2022, témoignent de la résilience du marché. De même que les conclusions de la société de conseil CBRE qui affirme que Londres a été en 2023 la première destination européenne de l'investissement immobilier devant Paris et le restera cette année.

Les organisateurs de ce Mipim 2024, marqué par une crise persistante qui se ressent à des degrés divers selon les métiers, marchés et pays, attendent 20 000 professionnels cette année. Le record d’affluence remonte à 2019, avec 26 800 participants.

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